Si le monde de la folk anglophone a l’air de tourner en rond, ce serait sans compter sur l’apparition de quelques prodiges de temps à autre. Noah Gundersen est l’un d’eux. Apparu sur la scène internationale en 2011, il a su développer un univers unique, d’une richesse lyrique impressionnante pour son jeune âge. Fin 2017, après deux EP et deux LP de folk/roots/americana, le jeune américain change brutalement de cap. Avec son dernier album WHITE NOISE, il fait le choix de se réinventer totalement. Un pari risqué, mais bienvenu. Rétrospective, et verdict.
2008, Noah Gundersen, un jeune américain de 19 ans, originaire de Seattle, lance son premier EP, « Brand New World » . La personnalité de Noah se dessine doucement : il propose de l’indie folk encore timide, mais sa voix rauque est déjà présente, et ses paroles montrent déjà une belle maturité.
Les vrais débuts de Noah Gundersen en tant que compositeur et parolier de talent se font en 2011, avec la sortie de son 2e EP « Family ».
Les chansons s’étoffent, grâce au léger retrait de la guitare acoustique, pour laisser plus de places aux percussions, et au violon de sa soeur Abby. Noah Gundersen quitte alors le registre du chanteur folk pop basique. Les balades gagnent en profondeur et en efficacité.
On retrouve sur cet album une chanson du même titre, Family. Assurément la plus intelligente et la plus poignante de l’EP, elle fut reprise dans l’excellente série Sons of Anarchy par son producteur et créateur Kurt Sutter, qui demandera à Gundersen de collaborer à nouveau avec la série à succès. Ce titre est à l’époque le signe d’un futur très prometteur pour Gundersen.
Family (2011)
Ledges, la consécration
Vient ensuite en 2014 l’album Ledges, qui démarre d’une façon terriblement efficace, avec les cinq minutes presque a capella du titre Poor Man’s Son. Enregistrée en une prise, à 4 autour d’un micro et d’une guitare, la chanson se veut réelle, brute.
Cette première plage montre admirablement bien toutes les capacités de narration de Noah Gundersen, et tout l’imaginaire qui l’accompagne, lui et ses musiciens. Avec ce moment brut de sincérité, l’album Ledges ne pouvait mieux nous mettre en bouche et annoncer les dix plages restantes.
Poor Man’s Son, enregistrement en studio de l’album Ledges (2014)
Abordant des thèmes comme la mort, la foi, la famille et les relations passées, Gundersen se profile comme un vagabond qui, du haut de ses 24 années, a l’air d’en avoir passé une trentaine sur les routes, prêt à nous conter le monde, en digne héritier de Bob Dylan (Rolling Stone titrait en 2014, avec beaucoup de justesse, « Noah Gundersen Is One Old Soul »).
Le violon de la sœur d’Abby Gundersen dynamise efficacement l’album, et aide à faire de ses 11 plages un road trip enivrant.
Boathouse (2014)
Fort du succès de Ledges, Gundersen propose un an après, en 2015, son second LP, Carry The Ghost. Plus intéressant dans le fond que dans la forme, l’album est à retenir, non pas pour son instrumentalisation un peu faiblarde, mais pour ses textes, dans lesquels le chanteur se détache légèrement de son enfance très religieuse, pour aborder des thèmes plus durs et plus matériels, comme ses échecs, professionnels et relationnels, ainsi que la sexualité. Moins prenant que Ledges, Carry The Ghost aurait surement mérité plus de temps et une plus grande présence de la part d’Abby Gundersen, dont la voix et les envolées au violon manquent cruellement.
Overdose sensorielle
“White noise is the place between waking and dreaming, where the edges blur and the light is strange. It’s a car crash, it’s a drowning, it’s everything all the time.”
Noah Gundersen donne le ton de son nouvel album. La musique existe pour s’abandonner à ses sens, à ses désirs, à ses peurs. La musique impose un tempo et dicte le temps , mais l’étire aussi jusqu’à se perdre dans nos rêves.
Gundersen veut donc prendre le chemin des sens, et nous propose ici un voyage singulier, dans ses rêves plutôt que dans sa vie.
WHITE NOISE intègre des sonorités modernes, avec une guitare électrique plus présente, et même l’apparition d’un synthétiseur sur quelques titres. Un choix qu’on pourrait trouver regrettable, mais l’exercice est globalement intéressant, avec un mélange équilibré de « nostalgic tunes » du genre electro/ambient, de quelques inévitables percussions modernes (qui rappelleront la pop-rock d’un groupe comme Imagine Dragons), mais toujours avec ce qui a su faire le charme de Noah Gundersen, à savoir sa voix, ses talents en terme d’écriture, et la capacité de créer des ambiances uniques avec peu d’instruments.
Heureusement, les Gundersen gardent la douceur des violons de la sœur et les chœurs poignants de la fratrie, qui font le charme du groupe.
Et Noah a probablement trouvé dans sa guitare électrique le moyen de se réinventer. Lors d’une interview sur la radio américaine KEXP, il déclare, revenant sur la production de l’album WHITE NOISE, « être arrivé à un point, où il était mécontent de ses travaux solos récents ».
Liveshow et interview, KEXP
Bien qu’on sente énormément d’inspirations modernes (Radiohead, Sigur Ros, U2), les sonorités sont travaillées, et Gundersen n’a pas commis la même erreur qu’avec Carry The Ghost. L’album est certes un peu chaotique, mais on sent que c’est pour trouver sa voie que l’américain a proposé cet album. Et on peut espérer un prochain LP plus précis, avec une identité globale aussi travaillée que celle qu’il a construit pour Ledges, qui reste à ce jour un des meilleurs albums folk de ces dernières années.
Article: Romain CHARLES