Lysistrata frappe les trois coups d’un nouvel acte pour le Rock français

Un mardi soir d’avril à Bruxelles. Un théâtre métamorphosé en antre de la musique alternative. Un trio de post-rock français dégageant une énergie digne des plus grands, malgré une moyenne d’âge dépassant à peine la vingtaine. Le jeune groupe originaire de Saintes, Lysistrata, nous accueille dans la salle de l’Atelier 210. Un atelier sur lequel ils règneront d’une main de maître, une fois les lumières éteintes, en proposant un rock énervé et bouleversant.

2 heures avant la catharsis virulente de Lysistrata
Quelques poignées de main et nous voilà embarqués par les trois jeunes musiciens dans les dédales de l’Atelier 210, un ancien théâtre réaménagé. Un endroit tout désigné pour accueillir Lysistrata. Le groupe tirant son nom d’une pièce du poète grec Aristophane. Un texte antique dans lequel les femmes veulent renverser les rôles dans une société résolument patriarcale. Loin des tourments de la révolution, ce sont trois jeunes hommes sereins que nous avons pu rencontrer dans le gymnase situé juste au dessus de la salle . Il y résonnait le tumulte violent du groupe qui assurera la première partie ce soir là. Le plancher tremble, une faible lumière transperce les lourds rideaux de la salle de sport, qui résonne de guitares saturées. Un décor atypique pour rencontrer un groupe qui ne l’est pas moins.

Max (bassiste/chanteur) Ben (batteur/chanteur) et Théo (guitariste/chanteur), casquette rivée sur la tête, font preuve d’une maturité grandissante, aussi bien sur scène qu’en dehors. Il faut dire qu’ils commencent à connaître le métier. Après une prestation remarquée aux Transmusicales de Rennes en 2016 et le Prix Ricard en 2017, le trio a écumé les routes de France et d’Europe. Six mois seulement après leur dernier passage en Belgique, les trois jeunes musiciens étaient de retour le 3 Avril à Bruxelles pour présenter leur premier album « The Thread » sorti en octobre dernier

Au début on appelait ça « un groupe de week-ends » parce qu’on allait en cours la semaine et qu’on consacrait nos week-end à la musique. 

D’un calme presque olympien quelques heures seulement avant la fougue furieuse qui s’emparera d’eux sur scène, les trois jeunes musiciens impressionnent de maîtrise non sans une certaine décontraction. Pour eux, Lysistrata c’est avant tout le projet d’une bande de potes. « Au tout début, c’était juste l’histoire de répéter chez nous et faire des concerts quand ça se présentait » confie Ben.

Le quotidien tout tracé de ces trois étudiants fût chamboulé par la place de plus en plus importante que prenait la musique dans leurs vies. « Ça a commencé à prendre une tournure plus sérieuse quand on étudiait à la fac et qu’on a signé chez notre Bookeur. On avait de plus en plus de dates et il a fallu faire un choix entre aller en cours et faire des concerts. Après de longues discussions avec nos parents, on a choisi la voie de la musique et on a décidé de faire les choses à fond et de consacrer 100% de notre temps au groupe. »

Depuis quelques années, le trio se donne corps et âme à sa nouvelle entreprise. Un rock énervé qui enchaîne les riffs de guitare effrénés et les mélodies complexes en entrainant le public sur son passage dans un fracas sonique inévitable. Certains spécialistes s’amusent à étiqueter le groupe avec des termes presque savants. On parle de post-rock, post-hardcore, math-rock, noise, … De quoi s’y perdre tant les adjectifs pour qualifier cette musique particulière ne manquent pas. Le groupe en toute simplicité préfère parler de musique alternative. « Evidemment, on peut se retrouver dans ces termes mais on se dit souvent qu’on fait du Rock alternatif, parce qu’on alterne entre les genres tout simplement. » résume Max.

Des choses à dire
« There is a lightbulb in my mouth and a battery in my throat » clame en chœur le trio sur le titre d’ouverture de leur album. Après leurs premiers EP’s presque exclusivement instrumentaux, les jeunes musiciens ont découvert l’écriture et ont éprouvé le besoin d’extérioriser leurs émotions.  « Au début, on était plus axé sur l’instrumental. On redoutait un peu d’être devant un micro, on n’était pas chanteurs et on ne l’est toujours pas d’ailleurs. C’est juste qu’au bout d’un moment, on s’est rendu compte qu’on avait des choses à dire. » Du haut de leur vingtaine d’année, ils abordent brillamment des thèmes relativement sombres comme les problèmes psychologiques ou encore le suicide. Ainsi l’époustouflant final The Boy Who Stood Above The Earth ne peut laisser indifférent. Après ce morceau basé sur un discours de Joseph Campbell narrant l’histoire d’un jeune homme au bord du suicide, le silence stupéfait du public est sans appel.

Métamorphoses
Sur scène, les trois jeunes hommes sont méconnaissables. Lysistrata prend possession de l’espace tel son proskénion et délivre une performance enthousiasmée. Une heure de concert intense, sans rappel, en un seul acte, comme la pièce dont ils tirent le nom. Une véritable catharsis, où les passions se déchaînent, aussi bien sur scène que dans la foule.

L’avis d’Arno :
Avec Lysistrata, aucun artifice n’est nécessaire afin de rendre l’esprit vague, à l’orée de la transe. Avec une musique agressive et non moins dénuée de technicité, les saintois accrochent leurs riffs dans les recoins de notre esprit, nous plongeant dans les tréfonds de nos pensées. Sur scène, les démons rugissent et déversent toute leur énergie sur la foule stupéfiée et transie. Les morceaux s’enchainent, nul besoin de tergiverser, ils sont là pour montrer qu’on ne parle pas d’eux pour rien et c’est chose faite. À la lueur des flashs stroboscopiques, le concert prend fin, nous laissant le sourire aux lèvres et l’esprit encore moite d’une expérience stupéfiante.

À la sortie, le public, abasourdi a du mal à s’en remettre. Un public belge qui ravit le jeune groupe. « C’est déjà la quatrième fois qu’on vient, c’est toujours un plaisir. Il y a cette envie de sortir, de découvrir qu’il n’y a pas autant en France. Quand on retourne chez nous on est toujours un petit peu triste parce qu’on aimerait rester plus longtemps » conclut Ben.

Lysistrata reviendra, c’est sûr. D’ici là, on ne peut qu’espérer que les trois jeunes musiciens prennent leur envol en restant eux-mêmes, les pieds sur terre…

Article et Interview : Renaud VERSTRAETE et Arno GOIES 
Crédit photo : Max Chill