Overdrive assistait hier soir au tout premier concert du Jean-Paul Estiévenart Quintet dans le cadre de la quinzième édition du Marni Jazz Festival. L’occasion pour le trompettiste de réunir amis et musiciens autour de compositions inédites le temps d’une soirée, et plus si affinités. Une soirée chaleureuse dont Le Marni a le secret, suivie d’une Big Jam Session aux allures rêveuses et dynamiques.
C’est toujours un plaisir de passer la porte du Théâtre Marni, de descendre ses escaliers qui mènent au bar à l’ambiance feutrée, puis d’en monter d’autres en zigzagant un peu, comme s’il fallait mériter ce que l’on s’apprête à découvrir. Au milieu des gens impatients, curieux, je scrute les alentours, les programmes, les visages. J’aperçois au bar des musiciens détendus, tous semblent sereins. Ce qu’ils ne vous disent pas c’est qu’il y a un jour à peine ils jouaient ensemble pour la première fois les morceaux composés par Jean-Paul Estiévenart. Ce n’est pas tous les jours qu’une salle comme Le Marni donne carte blanche a la créativité d’un artiste, encore moins peut-être lorsque celui-ci joue de la trompette. Un challenge sans doute, mais aussi l’annonce d’un moment grisant pour les musiciens et pour le public. Au menu ce soir là, une brochette de talents individuels qui impressionne tant elle est relevée. L’occasion était trop belle pour ne pas faire appel à son frère de crimes, l’omniprésent Antoine Pierre (Urbex, NextApe, Taxiwars…) à la batterie. Au piano, les extravagances et la fantaisie de Nicolas Andrioli. Et comme si ce n’était pas assez beau, on retrouve l’invraisemblable Nic Thys (Taxiwars,…) à la contrebasse. La guitare est assurée par un ami de longue date, Romain Pilon, un français au son traditionnel et boisé.
Ouverture des portes…
Franchement je saute vers l’inconnu avec impatience et appétit.
La salle aux murs nus laissant apparaître une brique marquée par le temps est un lieu dont on ne se lasse pas. La pression monte pour ceux qui, comme moi, sont captivés par le galbe des instruments savamment disposés sur scène. Ca y est, les musiciens font leur apparition. Les premières notes de trompette viennent m’enlacer avec surprise. Douce surprise que cette trompette qui s’insinue, on pense en saisir l’essence puis elle nous file entre les doigts pour laisser place à la fureur des tambours et à la précision d’Antoine Pierre. Le piano est régulier mais pas répétitif, parfois dansant, parfois aussi teinté d’une mélancolie et d’un spleen romantique curieusement jazzy. La contrebasse force mon cœur à se calquer sur son rythme ardent alors que la guitare, timide et expérimentale, se place toujours au bon endroit, elle se fait oublier puis nous surprend par ses effets à la limite du psychédélisme sur la fin du show.
Et c’est là qu’il faut saluer une forme de génie dans la composition de Jean-Paul Estiévenart, il ne laisse pas de place à la prévisibilité et chasse donc l’ennui. Ses compositions vivantes semblent toujours en train de se faire. La place laissée à l’improvisation est énorme, le confort des débuts laisse parfois place à la stupeur face au désordre organisé qu’est l’improvisation. À ce moment là on ne se sent plus observateur mais bien acteur, et si les musiciens vivent sur scène une improvisation passionnante sur fond d’amour fraternel, le public, lui, réagit tant il est mis en difficulté par ce spectacle qui le désoriente. Il est passionnant de voir comme le public approuve, sourit, frissonne, applaudit, ou même tente de communiquer avec les musiciens entre chaque chanson. Ces artistes nous ont gâtés, dans leurs mains les compositions de JP Estiévenart ne sont plus des chansons mais biens des actes ponctués de vrais moments de communication avec le public, puis la machine repart de plus belle avec ces sourires fiévreux qui dénotent toute l’implication mais aussi le talent (pour ne pas dire le génie) qui est à l’oeuvre.
Jean-Paul Estiévenart est une perle du paysage Jazz de Belgique. Sur scène, il est badin, drôle et impliqué, il est vraiment le maître de cérémonie. Le public le lui rend bien, ou plutôt le leur rend bien. Le monde du jazz est un village, c’est encore plus vrai lorsqu’on se cantonne à la Belgique, tous se connaissent et bien souvent s’apprécient. Sinon comment de tels projets pourraient voir le jour ? Je pense qu’hier nous avons assisté à la naissance d’un tout nouveau projet et que ce concert n’était que le premier d’une longue série. L’avenir me contredira, ou pas…
Quoi de plus agréable après tant d’émotions qu’une bonne bière ? J’aurai tord de ne pas vous répondre : une bonne bière sur fond de Big Jam Session !
Pour clôturer la soirée en beauté, ou plutôt pour la laisser s’étendre jusqu’aux heures les plus tardives, la grande salle laisse place à l’ambiance tamisée du bar. Qu’ils soient musiciens confirmés ou néophytes tous auront la possibilité de se délecter d’un bon jazz joué ou simplement écouté. À ces heures tout le monde est plus détendu, sont-ce les effets de l’alcool, du jazz ou simplement les deux, allez savoir. L’atmosphère est bienveillante, les musiciens confirmés s’hydratent, se congratulent, mais ils sont aussi attentifs à ce qui se passe sur la scène. Ils ne manquent pas d’applaudir les pros qui s’y produisent, tout comme le font les aficionados un verre à la main. Le but est de prendre du plaisir, voire de faire ses classes pour certains, il s’agit de prendre des heures de vol et parfois de se faire remarquer.
Au fil de la soirée les musiciens affluent, les surprises aussi. Le bar ne désemplit pas, la ferveur autour du jazz en Belgique m’impressionne. Si l’on observe un peu, on s’aperçoit vite que les musiciens vont de table en table comme ils volent de groupe en groupe. Le jazz est vraiment une grande famille et Le Marni y est sûrement pour quelques chose. Puis lorsque Antoine Pierre et JP Estiévenart montent à nouveau sur scène, on ne se doute pas de ce qui va arriver. Le premier s’empare de la contrebasse alors que l’autre s’installe confortablement à la batterie, situation plutôt inhabituelle d’autant que les deux artistes se débrouillent plutôt bien. On aura donc tout vu ce soir là au Marni Jazz Festival. La musique fait une fois encore office de langue universelle, il suffisait d’être là pour célébrer le jazz, pour se comprendre sans se parler, au diapason.
Article : Guillaume Keppenne
Photo : Igloo Records