Une nuit au Marni #4 Bert Joris Quartet : Histoire soufflée au creux de l’ignorance

Il nous arrive d’être ignorant. Aucune honte à cela. Ignorer son ignorance et feindre le savoir ne mène qu’à la tromperie. Tant qu’il y’a une volonté de remédier à ses lacunes, elle ne devrait pas être moquée. Et c’est ce que je vous demande, de ne pas vous moquer de mon ignorance quand j’ai découvert pour la première fois Bert Joris et son band ce 13 septembre au Théâtre Marni.

Il faut avouer que c’est excitant de se retrouver face à l‘inconnu. À quoi dois-je réellement m’attendre ? À de jeunes musiciens issus de cette nouvelle vague du jazz belge ? À un des grands jazzmen de notre plat pays ? De l’expérimental ? Du contemporain ? Du classique ? Excitation, espoir et attente sont autant d’émotions qui m’ont traversées lorsque je passai les portes du théâtre. Si vous connaissez Bert Joris, ces questions doivent vous sembler bien futiles. Mais elles furent pour moi une source de plaisir immense, surtout après avoir choisi de me laisser entièrement dans l’inconnu.

Les lumières s’éteignent, les discussions laissent place aux murmures, puis au silence. Nul besoin d’entendre les premières notes pour se rendre compte de la complicité liant les musiciens. Des sourires en coin sont lancés, ce sont des copains qui vont jouer ensemble ce soir. Mais la décontraction ne porte pas préjudice au high standing que le concert semble peu à peu promettre. Dans les couloirs menant à la salle, mon oreille a été attirée par une discussion louant la qualité de composition de Bert Joris. Confirmation d’entrée de jeu. Les instruments se mêlent l’un à l’autre sans que l’un ne prenne le dessus sur l’autre. Le tout est cohérent et technique et une fois passé ce plaisir découvert, l’intérêt se porte au jeu singulier de chaque musicien.

Au piano, le fougueux Dado Moroni s’emporte durant de longues envolées aériennes, son instrument tressautant sous l’impulsion du jeu enfiévré de l’italien. Pourtant rien n’est dans l’exagération, c’est comme si le piano se devait de réagir ainsi face au talent de son utilisateur. Je dois alors dire que mon faible pour les percussionnistes de jazz n’a fait ensuite que s’accroitre. Cet art qu’ont les batteurs d’emmener le morceau sous une technique endiablée mais pointilleuse, a été respecté de mains de maitre par Dré Pallemaerts. Le son de la contrebasse accompagne avec précision l’ensemble mais le son de Philippe Aerts a aussi quelque chose d’à la fois unique et indescriptible. Donnant souvent l’impression de travailler dans l’ombre, ici l’instrument fait partie intégrante de la composition.

 

L’attention se porte alors sur Bert Joris et sa trompette. À ne pas s’y tromper, c’est lui le chef d’orchestre. Discret dans sa manière de communiquer mais puissant dans son jeu, il nous donne l’impression de raconter une histoire au travers son instrument. Il dédie une chanson à son ami Philip Catherine puis une à son … chat. Et son chat, on le sent vivre. On le voit, gambadant dans la ville, vivant sa vie de noctambule.

Et finalement, c’est peut-être ça qui fut le plus beau et le plus impressionnant durant cette soirée. Cette énumération de musiciens n’était pas là pour vanter le talent déjà connu de ces artistes, non. Elle était là pour exprimer comment, à leur façon, ils ont permis de raconter ces histoires. Certains disent que le langage s’est développé dans le besoin de la narration, ici la musique l’a sublimée.

Article : Arno Goies

Photo : Brussels Jazz Orchestra